Detroit - Drame

Détroit est un film réalisé en 2017 par Kathryn Bigelow

Durée : 2h14

Date de sortie 11 octobre 2017 

De : Kathryn Bigelow

Avec : John Boyega, Will Poulter, Algee Smith 

Genres  : Drame, Thriller

Nationalité : Américain

Distribution
 

Synopsis 

Pendant l'été de 1967, d'importantes émeutes ont lieu à Détroit. De nombreux affrontements, durant 5 jours, feront une quarantaine de morts et des milliers de blessés. L'armée américaine et les policiers de la ville de Détroit prennent une partie d'un hôtel et commencent à interroger les personnes d'une manière vicieuse.

Critique Télérama - Jacques Morice

Cela commence en musique. Normal : on est à Detroit, berceau de la Motown, usine à tubes phénoménale, dont l’esprit imprègne le film. Une fête, organisée par des Noirs américains, bat son plein. Ambiance chaude et joyeuse, mais qui déplaît. Jugée illégale, la fête est interrompue par une descente de police. Tout le monde est embarqué, sans ménagement. Certains flics, mains baladeuses, en profitent. Dans la rue, des attroupements se forment, la colère commence à gronder. La police se sauve, le quartier explose, bascule dans le chaos. De manière vive, multiple, ample, en intégrant des documents d’archives, Kathryn Bigelow vient de filmer l’étincelle de trop qui met le feu aux poudres.

On est en 1967. Deux ans auparavant, il y a eu les émeutes très violentes de Watts, à Los Angeles. La vague de révolte touche maintenant d’autres villes, dont Detroit. L’intelligence aiguisée de Kathryn Bigelow est de revenir sur cette page insurrectionnelle de l’histoire américaine en passant de la vue d’ensemble à un fait isolé, fortement chargé de sens et de symboles : la tragédie de l’Algiers Motel. Avec le soutien de son fidèle scénariste, Mark Boal, lequel a mené comme à son habitude une enquête très poussée en rencontrant des participants de chaque bord (policiers, victimes…), elle en a reconstitué le déroulé fatidique, quasiment en temps réel. En le transformant en parabole sur la violence psychologique et physique.

A la suite de plusieurs détonations entendues, des policiers et des militaires interviennent dans le motel. Où logent plusieurs protagonistes, dont un chanteur de soul et un ami à lui, avec lesquels on a déjà fait connaissance. Ils passent du bon temps, en compagnie de deux filles blanches, lorsque les forces de l’ordre font irruption. Parmi les policiers, Krauss, profil du raciste pernicieux, est particulièrement remonté. C’est le meneur. Arme au poing, avec ses deux acolytes, il cantonne les clients dans le couloir, les contraint à rester les bras levés et les interroge de plus en plus brutalement, cherchant à leur extorquer des aveux.

Manipulation, chantage, torture, tout ce qui se joue dans ce théâtre en huis clos est un concentré de tension explosive. Où la réalisatrice dépasse le simple constat de l’injustice pour explo­rer les ressorts du racisme, de la haine, du sadisme, mais aussi de la survie. Autour des deux demoiselles en minijupe, pimpantes, sexy, trans­pirent en effet frustration sexuelle, jalou­sie, sentiment de dépossession. A cela s’ajoute la position fâcheuse de ce ­vigile noir, présent sur le lieu. Un type consciencieux, mais complice du pire, de par sa non-intervention. Dans le motel ou à l’extérieur, la réalisatrice refuse les généralités hâtives, montre des Noirs intégrés dans le camp des dominants, des Blancs respectueux des droits civiques. Elle fait la distinction entre les forces d’intervention (polices municipale et fédérale, Garde nationale). De manière juste et responsable, à travers une mise en scène ­aussi brillante que terriblement efficace, elle parvient à dissocier chaque indi­vidu, victime ou bourreau. Tout en ­englobant une histoire collective, plus large, remontant à des décennies d’humiliation et de ségrégation.

Un personnage en est en quelque sorte le dépositaire, c’est Larry Reed, le chanteur du groupe The Dramatics. Plein d’espoir, promis à la gloire, frappé au sens propre et au sens figuré par la malédiction, il ne veut plus chanter pour les Blancs après le drame du motel. A travers lui résonne une part de ce qui fait la grandeur de la musique noire (gospel, soul, jazz) mais aussi beaucoup d’amertume. De dignité ­bafouée, de fierté autodestructrice et de renoncement, il est aussi question. Au détour d’une de ces parenthèses poignantes dont Bigelow a le secret, on voit une médecin légiste, face à un père anéanti, qui parle avec douceur de ses enfants, des adolescents jouant les gros durs qui cherchent leur place. La virilité, on y revient toujours, d’une manière ou d’une autre, avec Bigelow. Et avec elle, à cette violence, légitime ou non, qui embrase autant qu’elle ­paralyse, qui élève et dévaste les hom­mes et la société.

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